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La foi et la pratique dans le judaïsme et le christianisme Geneviève Comeau Dans Pardès 2001/1 (N° 30), pages 111 à 128

Chez Abbé Gilles par divers moyens je cherche à défendre la vie, à encourager la foi chrétienne, à faire valoir la tradition catholique, à édifier le Mariage en son lien au Créateur, à encourager les familles et les individus, et à appuyer les disciples missionnaires de Jésus.  G.S.

Voici un excellent article par Geneviève Comeau qui a paru Dans Pardès 2001/1 (N° 30

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https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-1-page-111.htm 


1    Mon exposé portera sur le lien entre la foi et la pratique dans le judaïsme et dans le christianisme. Vu l’ampleur du sujet, je ne pourrai que tracer devant vous quelques grandes lignes, sans faire droit aux différents courants, aux différentes sensibilités, à l’intérieur du judaïsme comme du christianisme.

2    Ma démarche sera une démarche comparatiste ; c’est celle que j’ai adoptée dans les recherches que j’ai faites pour ma thèse (thèse de théologie soutenue dans une Faculté catholique, avec un rabbin, R. Krygier, dans le jury) : une comparaison entre christianisme et judaïsme dans le monde moderne (aux xixe et xxe siècles). La comparaison portait sur le style de vie des personnes, et des communautés, juives et chrétiennes, styles de vie informés par une théologie de la révélation : par la façon de comprendre comment Dieu se révèle à nous.

3    Un des enjeux de cette comparaison est le lien entre la foi et la pratique, et c’est ce dont j’ai choisi de vous parler ce soir. Pourquoi ? Parce que cela rejoint le thème de ce cycle de conférences sur la morale judéo-chrétienne. Et parce que le lien entre la foi et la pratique est bien souvent au cœur des stéréotypes réciproques que chrétiens et juifs ont les uns à propos des autres. Au cours de 2000 ans d’histoire mouvementée, chacune des deux traditions, juive et chrétienne, a eu tendance à porter un regard réducteur sur la problématique de l’autre. Aujourd’hui il est temps d’en prendre conscience et de dépasser ces stéréotypes, afin d’avoir un regard renouvelé qui permette une plus juste appréciation de la spécificité de chacune de nos traditions. Ce regard renouvelé peut nous conduire à un enrichissement réciproque, en voyant comment les uns et les autres ont leur manière originale d’articuler la foi et la pratique. Le fruit du dialogue est d’apprendre à se laisser interpeller par la cohérence de l’autre, pour aller jusqu’au bout de la richesse de sa propre tradition. C’est dans cette espérance que j’ai entrepris ce travail de comparaison.

4    Dans un premier temps, je vous présenterai les stéréotypes réciproques sur le lien entre la foi et la pratique.

5    Dans un deuxième temps, nous chercherons à dépasser ces stéréotypes, c’est-à-dire à voir justement en quoi ce sont des stéréotypes.

6    Enfin, dans un troisième temps, nous approfondirons quelques points délicats : c’est-à-dire des domaines où judaïsme et christianisme ont pris des orientations différentes pour le lien entre foi et pratique, et où cette différence est objet de débat entre les deux traditions, comme à l’intérieur de chacune d’elles.

Les stéréotypes

7    Commençons par les stéréotypes, c’est-à-dire par le regard porté sur l’autre, de telle façon que l’autre ne se reconnaît pas, ou très peu, dans l’image que l’on se fait de lui.

8    1. Pour la manière dont les juifs voient le christianisme, je me limiterai à la période récente, qui est celle où les juifs ont pu exprimer librement leur opinion sur le christianisme. Avant l’émancipation en effet, la pression sociale ne leur permettait pas toujours une parole libre.

9    Au xixe siècle la situation change, à cause non seulement des effets de l’émancipation, mais aussi de l’exégèse historico-critique, pratiquée d’abord par le protestantisme libéral. Apparaît alors la figure d’un Jésus de l’histoire, dédogmatisé, déchristologisé, maître de morale. A ce Jésus-là, les juifs peuvent s’intéresser. Les juifs libéraux emboîtent le pas à leurs collègues protestants, et découvrent à quel point l’enseignement du rabbi de Nazareth était juif. « Par tous ses traits, Jésus est de bout en bout un personnage authentiquement juif », disait Leo Baeck, rabbin et savant juif allemand (1873-1956). Cette découverte de la judéité de Jésus s’accompagne d’un rejet de la « déformation » de son message par l’Église : Paul en est tenu pour le grand responsable. C’est Paul qui a exigé « de croire au Christ. Il faisait par là précisément ce que Jésus ne faisait pas, autant que nous pouvons le connaître par la tradition synoptique », dit Martin Buber. C’est à cause de Paul que la vie selon le faire a été « supplantée par la vie selon la foi ».

10    Dans cette interprétation, c’est à partir du tournant paulinien, que la foi, entendue comme pure passivité, vient au centre de la vie chrétienne. Ainsi s’exprime Leo Baeck : « le salut qui vient par la foi n’est en aucun sens mérité, mais complètement reçu… L’homme n’est rien d’autre que le pur objet de l’activité de Dieu… Il ne vit pas mais il “est vécu”… ». La volonté humaine est ainsi effacée ; la culture et la relation à autrui sont éclipsées ; pas de place pour l’éthique ni pour l’histoire chez Paul. Aux yeux de L. Baeck, seul Luther a été fidèle au christianisme paulinien ; le catholicisme, lui, n’a pu s’empêcher d’introduire (de réintroduire) une certaine dose d’activité humaine.

11    Martin Buber (1878-1965) tient également Paul pour responsable de la grande transformation du christianisme ; cela apparaît dans son livre Deux types de foi, sous-titre Foi juive et foi chrétienne. A un Jésus qui considère encore que l’on peut accomplir la loi, que « accomplir la loi signifie écouter la parole et l’étendre à l’existence humaine dans toutes ses dimensions », M. Buber oppose un Paul pour qui l’accomplissement de la loi est impossible. La foi que Paul met alors en avant est une foi-connaissance, tandis que L. Baeck voyait la foi chrétienne comme le sentiment romantique d’une absolue dépendance. L’objet de foi que les chrétiens doivent accepter comme vrai, selon M. Buber, est « qu’un homme crucifié à Jérusalem est leur Rédempteur ».

12    En tout cas, qu’il s’agisse d’un sentiment romantique ou d’une orthodoxie (foi-connaissance), il est sûr que la foi chrétienne telle que Paul l’a remodelée n’implique, d’après Baeck ou Buber, aucune mise en pratique. Le christianisme est pure intériorité, sans effet sur le monde extérieur, dans lequel la rédemption n’est pas encore arrivée.

13    Notons l’importance, dans cette critique du christianisme, du paradigme libéral : ce sont des juifs libéraux qui en ouvrent la voie au xixe siècle. Quand Leo Baeck voit le christianisme comme une religion romantique, il se réfère à Schleiermacher (théologien protestant libéral). Il a eu tout un débat avec Harnack (protestant libéral) et son livre Essence du christianisme. Quant à Buber, le nombre de fois où il fait allusion à Bultmann dans Deux types de foi suffit à indiquer sa parenté avec le protestantisme libéral. Le protestantisme libéral est le maillon qui permet de comprendre certains dualismes que les chercheurs juifs – eux-mêmes libéraux – repèrent dans le christianisme.

14    Bien d’autres traits par lesquels certains juifs voient le christianisme peuvent se rattacher à cette ligne principale. Par exemple le christianisme, par son mépris du monde extérieur, se ferait le champion de l’ascétisme complet : il considérerait comme pécheresses toutes les expériences sensorielles ; son idéal serait le retrait monastique loin du monde.

15    Jusqu’ici je n’ai pris en compte que les stéréotypes. Je dois pourtant signaler que certains juifs ont une perception plus nuancée. Ainsi Will Herberg, savant juif américain, voit l’attention à l’action comme un point commun au judaïsme et au christianisme : « Tous deux accordent de l’importance à ce qui est réaliste et concret : tous deux voient le monde, et l’action humaine dans le monde, comme réels et importants… Pour les deux, une éthique de l’obéissance est au centre des exigences de la foi, et ce que Dieu demande est d’ordre moral : justice et amour en acte. »

16    2. Pour la manière dont les chrétiens voient le judaïsme, je me tourne d’abord vers l’histoire récente : les juifs légalistes, et hypocrites de surcroît car ils ne cherchent qu’une application extérieure de la Loi, voilà un cliché bien répandu aux xixe et xxe siècles. L’exégèse historico-critique vétéro-testamentaire de la fin du xixe siècle a eu une influence déterminante : elle a caractérisé le judaïsme post-exilique comme une époque de sclérose, où la pratique de la Torah est purement extérieure.

17    Dans sa version protestante libérale, cette exégèse a mis l’accent sur l’enseignement éthique de Jésus, ce qui l’a amenée « à une nouvelle dénigration du judaïsme vu comme “légalisme”, opposé à l’éthique chrétienne de l’amour ». Les catholiques ne sont pas en reste, et le Dictionnaire de théologie catholique en 1909 dit à propos de « l’abus de la Loi » dans le judaïsme du temps de Jésus : « La pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure… Les scribes se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffisait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice intérieure… Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie… Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu ». Qui n’a pas entendu, aujourd’hui encore, des homélies allant dans le même sens et où il était question du formalisme des juifs ou de leur volonté de devenir justes par eux-mêmes ?

18    Pour résumer, il s’agirait d’une pratique complètement déconnectée d’une vie intérieure de relation avec Dieu ; et le reproche vise surtout les juifs du temps de Jésus – car, dans l’histoire d’Israël telle que la voit l’école de Wellhausen, qui a profondément marqué l’exégèse historico-critique, il n’y a pas de place pour un judaïsme après Jésus.

19    Le paradigme libéral joue donc un rôle crucial dans le regard des juifs sur les chrétiens et des chrétiens sur les juifs. Sa capacité à voir le monde de façon duelle, si ce n’est dualiste, engendre des caricatures. Il convient de reconnaître que, à partir de Vatican II, l’Église catholique, se rappelant le lien qui l’unit avec la lignée d’Abraham, a entrepris d’établir des relations de connaissance mutuelle et de respect avec le peuple juif, et a donc cherché à se débarrasser des stéréotypes. « Il est faux d’opposer judaïsme et christianisme comme religion de crainte et religion d’amour… Les recherches contemporaines ont bien mis en évidence que les pharisiens n’étaient nullement étrangers au sens intérieur de la Loi », disent les Orientations pastorales du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme en 1973. Cet effort n’a sans doute pas encore porté tous ses fruits.

20    En remontant dans le temps, l’on constate que la polémique chrétienne anti-juive a développé encore bien d’autres thèmes. Pour en rester à la question de la pratique, c’est la caducité de la loi mosaïque qui était mise en valeur dans les premiers siècles, en lien avec la messianité de Jésus. L’Église distingue entre les commandements moraux et les préceptes rituels ; ces derniers se trouvent abolis par la venue du Christ ; la seule observance que les chrétiens en conservent est une observance spirituelle. En contrepoint, l’exégèse et la pratique juives sont qualifiées de « littérales » ; ayant rejeté le Christ, les juifs lisent sans comprendre. C’est par ce chemin-là qu’apparaît, aux premiers siècles, le reproche de rigorisme légaliste.

21    Il faudrait pouvoir développer ici : Les Pères de l’Église, comme Justin et Irénée, distinguent entre deux sortes de commandements : D’une part « les préceptes naturels de la Loi, comme l’interdiction de l’adultère », dit Irénée ; « ce qui est juste partout et toujours », dit Justin. Ces préceptes, le Seigneur les a amplifiés et accomplis. D’autre part, « la loi ancienne de l’Horeb », dit Justin ; « les préceptes intimés à part », dit Irénée. Ceux-là avaient une valeur positive mais temporaire – ou bien, autre interprétation, ils n’avaient qu’une valeur symbolique. Cette distinction correspond sans doute à la distinction entre Michpatim et Huqqim – mais avec une toute autre interprétation ! Pour les Pères de l’Église, comme pour les premiers disciples du Christ, la mort et la résurrection du Christ, prémices des derniers temps, ont ouvert l’accès auprès du Père pour tous ; d’où la forte relativisation des Huqqim.

22    Corrélativement, s’est posée la question de la lecture des Écritures : les Pères de l’Église ont pratiqué une lecture allégorique à la suite du juif Philon d’Alexandrie. Cette lecture leur a permis d’entendre dans un sens spirituel nombre de préceptes de l’Ancien Testament. Mais cette démarche aboutit à un remaniement profond de toute la signification des codes juridiques de l’Ancien Testament. Est-ce encore le même Testament que les chrétiens ont en commun avec les juifs ? En tout cas, les lectures pratiquées par les communautés divergent.

23    La polémique chrétienne des premiers siècles a donc des accents davantage théologiques que celle de la fin du xixe siècle. La question centrale est alors celle de la reconnaissance ou non de la messianité de Jésus ; de là découle, mais en position seconde, le reproche de légalisme adressé aux juifs. Aux xixe et xxe siècles en revanche, il semble que le légalisme et l’hypocrisie des juifs soient des lieux communs quelque peu déconnectés des enjeux théologiques.

Voyons maintenant comment dépasser ces stéréotypes

24    En se mettant à l’écoute de chacune des deux traditions, l’on peut découvrir comment les traits par lesquels l’autre la caractérise sont des traits isolés du dynamisme global de cette tradition, et donc déformés, durcis, même s’ils pointent vers une tendance réelle.

25    1. Le judaïsme, même s’il lui arrive de traduire Torah par Loi, sait que la signification du mot est bien plus large : la Torah est aussi enseignement et chemin ; elle est comparée à une fiancée, à un joyau ; elle est ce qui soutient le monde.

26    Si la lettre de la Torah est importante, le littéralisme cependant n’a jamais caractérisé le judaïsme qui au contraire a toujours donné beaucoup d’importance à la Torah orale pour interpréter la Torah écrite.

27    Quant à la mise en pratique de la Torah, elle concerne tous les détails de la vie ; le cœur, l’intériorité de l’être humain n’en sont pas exclus. Elle requiert la kavana, c’est-à-dire cette qualité d’attention qui dirige le cœur et toute la personne vers le Père des cieux. Mais la kavana elle-même peut être engendrée par la mise en pratique de la Torah : les actes que celle-ci demande purifient peu à peu le cœur, dit le philosophe juif Abraham Heschel dans son livre Dieu en quête de l’homme.

28    Ce repositionnement fait apparaître combien le regard chrétien sur le judaïsme évoqué précédemment était étroit et réducteur. Cependant il est bien vrai que la pratique a une place centrale dans le judaïsme ; voyons ce qu’il en est, à partir de sources juives.

29    Tout d’abord il importe de noter que le judaïsme a toujours connu une tendance à se centrer uniquement sur la loi, à devenir une orthopraxie, un pan-halakhisme. Heschel a dénoncé cette tendance interne au judaïsme, qui peut se transformer, dit-il, en légalisme, et donner prise aux détracteurs du judaïsme. D’autres penseurs juifs, sans exprimer forcément comme Heschel une virulente mise en garde, cherchent à interpréter cette tendance. Pour M. Wyschogrod, rabbin américain, le judaïsme rabbinique, à la différence du judaïsme biblique qui le précède, a connu un retrait et un silence de Dieu ; plus qu’à Dieu lui-même il s’est intéressé alors à la Torah donnée par Dieu ; une rationalité typiquement halakhique s’est développée peu à peu, relativement indépendante des récits bibliques de rencontre avec le Dieu vivant. Il est à noter que cette rationalité va au-delà du problème du geste matériel à accomplir, elle comporte toute une dialectique, une manière d’argumenter très fine et très riche. Selon la belle formule d’E. Levinas, c’est « un accès à l’intellectuel à partir de l’obéissance et de la casuistique qu’elle comporte ». Alors que M. Wyschogrod perçoit les limites qui découlent de ce choix, choix inéluctable à ses yeux, E. Levinas revendique avec fierté d’« aimer la Torah plus que Dieu » : c’est selon lui le trait caractéristique du judaïsme, qui en fait un « humanisme intégral et austère », et non une « communion chaude et quasi sensible avec le Divin ».

30    Pour E. Simon, rabbin américain membre du Conservative Judaism, le judaïsme est menacé de devenir un légalisme quand est faite une lecture intégraliste de la Torah qui en met tous les éléments sur le même plan. Question : certaines mitsvot sont-elles plus importantes que d’autres ? De quel point de vue ? théologique ? (leur origine révélée) Ou anthropologique-pédagogique ? Et selon quels critères ?… Ce n’est pas à moi de le dire. Je cite Ernest Simon qui répugnait par exemple à attribuer la même densité à tous les passages bibliques ; car, soulignait-il avec humour, les martyrs préféraient aller au supplice en récitant « Écoute Israël… » plutôt qu’en récitant « Et Timna était concubine ». Pourtant les deux versets sont dans la Torah.

31    En amont de ce débat, le judaïsme connaît une question ancienne : la loi est-elle une fin en elle-même ou pas ? Dès le Talmud et les midrachim, les positions des rabbins ont divergé : soit la loi est pour le bénéfice des hommes car elle les aide à se réformer, à se purifier, soit elle est pour le bénéfice de Dieu et demande à être obéie indépendamment des bienfaits que l’on peut en tirer.

32    D’importantes questions théologiques sont en jeu : dans un monde où le contact direct avec Dieu est moins immédiat que dans l’univers biblique, quelle est la meilleure façon de Lui être fidèle ? La Loi est-elle une fin ou un moyen ? est-elle un moyen pour atteindre Dieu, ou est-elle une fin parce que « la Torah n’est pas dans les cieux », comme le dit le récit talmudique de Rabbi Eliézer ?

33    L’importance capitale accordée par le judaïsme à la pratique de la Torah, jusqu’à en faire une fin en elle-même, s’enracine dans une anthropologie religieuse : c’est par les actes que l’on se réalise et que l’on réalise ses convictions religieuses.

34    Cette anthropologie religieuse est liée à une théologie de la révélation, dont le fondement est l’événement du Sinaï. « Tous les membres du peuple doivent considérer qu’eux-mêmes se sont tenus au pied du Sinaï, et que là ils ont promis de rester fidèles aux termes de l’Alliance ». L’expérience fondatrice d’entrer dans l’Alliance en recevant les commandements et en s’engageant à les pratiquer est renouvelée lors de chaque Bar Mitsva. Cette relation d’alliance entre Dieu et son peuple, la tradition juive la décrit à l’aide des termes de « Roi » et de « Royaume ». L’office à la Synagogue se termine par ce passage de Zacharie : « Alors le Seigneur se montrera le roi de toute la terre. En ce jour-là, le Seigneur sera un et son nom sera un » (14, 9). Dire le Chema en vérité, c’est prendre sur soi le joug du Royaume des cieux. Bien d’autres notations liturgiques, ainsi qu’un grand nombre de midrachim, pourraient être cités pour confirmer la place centrale de la figure de Dieu comme Roi. Le Roi doit être obéi par ses serviteurs. Obéissance d’amour… Le lien de l’homme à Dieu dans le judaïsme est un « lien d’obéissance à instruction » – ce qui explique que le cœur de la relation Dieu-homme concerne la pratique.

35    Pour donner toute sa profondeur à cette pratique, il resterait à expliciter la relation entre Halakha et Aggada – la métaphore royale relève de la Aggada. Car, dit Heschel dans Dieu en quête de l’homme, « la Halakha nous donne des normes d’action ; la Aggada, une vision des fins de la vie… La Halakha, nécessairement, traite des lois dans l’abstrait, sans tenir compte de la personne totale. C’est la Aggada qui nous rappelle que le but de l’accomplissement de la loi, c’est la métamorphose du sujet qui l’accomplit… L’événement du Sinaï appartient à la sphère de la Aggada… La Halakha est une réponse à la question : Qu’est-ce que Dieu demande de moi ? À partir du moment où cette question n’est plus présente dans le cœur, la réponse perd toute signification. Or cette question est aggadique… ». Sur cette relation entre Halakha et Aggada, il existe des sensibilités différentes à l’intérieur du judaïsme.

36    Notons pour le moment que la relation d’alliance entre Dieu et l’homme prend corps dans la pratique, une pratique qui est obéissance à la loi (cf. l’engagement pris au Sinaï), lieu de vérité pour l’homme (cf. l’anthropologie religieuse), et expression de l’amour pour le Roi et de la confiance en Lui.

37    2. Le christianisme vu comme une foi – sentiment ou orthodoxie – sans lien avec une pratique et sans effet sur le monde extérieur, n’est-ce pas une caricature par rapport à l’enseignement de Jésus tel qu’il est rapporté dans les Évangiles ? On peut penser par exemple à Matthieu 7, 21 : « Il ne suffit pas de me dire “Seigneur, Seigneur !” pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » Mais justement, d’après les penseurs juifs que j’ai présentés, comme M. Buber et L. Baeck, ce serait Paul le responsable de la rupture avec le judaïsme et de l’accent unilatéralement mis sur la foi comme passivité. La critique protestante du début du xxe siècle qui s’est penchée sur la relation entre Jésus et Paul est parvenue à des résultats similaires. Ce rapprochement souligne, une fois encore, les affinités de pensée qui existent entre protestantisme libéral et judaïsme libéral. Toutefois les penseurs juifs abordent la question Jésus-Paul en fonction de centres d’intérêt spécifiques : la pratique ou non de la Torah, et la foi de Jésus devenue la foi en Jésus. J’évoque par exemple Ben Chorin : « La foi de Jésus nous unit ; c’est la foi en Jésus qui nous sépare. » Cette réaction est une invitation à regarder de plus près la relation entre Jésus et Paul, ainsi que le rapport à l’histoire qu’entretiennent les textes du Nouveau Testament.

La relation entre Jésus et Paul

38    Il est vrai que, pour un lecteur du Nouveau Testament, « quand de la lecture des Évangiles on passe à celle des épîtres pauliniennes on a l’impression de passer d’un monde dans un autre ». Ce constat est à l’origine de la question Jésus-Paul. Mais du point de vue de la rédaction des textes, les épîtres de Paul sont antérieures aux Évangiles. Que trouve-t-on donc dans les épîtres de Paul sur sa relation à Jésus ? Paul est « serviteur de Jésus Christ » (Romains 1, 1) ; par lui il a « reçu la grâce d’être apôtre… » (Romains 1, 5). L’Évangile de Dieu, que Paul annonce, concerne Jésus Christ mort et ressuscité (cf. Romains 1, 3-4). Paul a été « saisi par Jésus Christ » (Philippiens 3, 12b) ; l’essentiel pour Paul maintenant est « de le connaître, lui, et la puissance de sa résurrection, et la communion à ses souffrances, de devenir semblable à lui… » (Philippiens 3, 10). Jésus Christ mort et ressuscité est au centre de la vie et de l’apostolat de Paul.

39    Au fondement de la vie et de la pensée de Paul, il y a donc ce que j’appelle un principe christologique. C’est par le seul Jésus Christ que « la grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude » (Romains 5, 15). Dieu est le Dieu des païens comme des juifs, et il justifie les uns et les autres de la même manière : par la foi en Jésus Christ. C’est à partir de cette position théologique que je comprends ce que Paul dit sur la Loi. L’élément qui déclenche sa réflexion est la question du statut des païens : ont-ils à se faire circoncire et à pratiquer la Loi pour appartenir au Christ ? Si les païens reprenaient la Loi, elle serait pour eux « chemin de salut », elle ne pourrait pas être pour eux ce qu’elle est pour les juifs : un don de Dieu, le signe d’un amour qui précède et oblige l’agir humain.

40    Paul n’est pas quelqu’un qui ignore la signification de la Loi dans le judaïsme de son temps ; l’orgueil et l’autojustification ne s’attachent pas automatiquement à la pratique de la Loi : ce sont plutôt des pièges auxquels pourraient succomber les païens. L’orgueil dont il est question en Romains 3, 27 ne provient pas tant, pour les juifs, de la pratique de la Loi, que du statut privilégié que leur donne la pratique de la Loi. Or ce statut privilégié est relativisé par la foi en Jésus Christ : le Père de Jésus Christ sauve de la même manière les juifs et les païens.

41    Bref, à mon avis, ce n’est pas l’anthropologie qui est à la racine de la réflexion paulinienne (l’homme serait faible, incapable d’accomplir la Loi… Paul lui-même dans Philippiens 3,6 s’est présenté comme un homme irréprochable quant à la justice que peut donner la loi). C’est la théologie, plus précisément la christologie, qui est à la racine de la réflexion paulinienne.

42    Par ailleurs, – quittons Paul – la foi en la résurrection, dès les premières annonces qui en sont faites, ne consiste pas seulement à croire quelque chose à propos de Jésus (que Dieu l’a ressuscité), mais aussi à croire en lui, à croire que la conversion et le pardon des péchés sont donnés en son Nom.

43    Car, pour la communauté post-pascale, le règne de Dieu est advenu dans la mort et la résurrection du Christ. Elle doit donc faire du Christ lui-même le contenu de son message.

44    Ce changement ne représente pas une césure totale. En effet les Évangiles eux-mêmes sont écrits à partir de l’événement de la mort et la résurrection du Christ. Certes le récit évangélique signe un écart avec l’événement raconté, il fait prendre conscience d’une distance.

45    De même, entre l’existence de Jésus et le type d’expérience vécu dès les débuts de l’Église, des changements apparaissent : ce qu’entreprennent les disciples dans les Actes par exemple est différent de ce que faisait le Maître ; bien plus qu’une adaptation heureuse à des situations nouvelles, c’est une expérience inédite. Pourtant c’est au Nom de Jésus qu’ils disent le vivre.

46    D’où vient cette fidélité dans l’écart ? de l’expérience de l’Esprit Saint au présent. Dans les Actes, c’est poussée par l’Esprit que la communauté des disciples prend des initiatives ; c’est dans le présent de l’Esprit qu’elle vit l’invention de sa mission.

47    Ainsi la tradition de l’Église, assistée par l’Esprit Saint, resitue ces innovations dans la fidélité à l’Esprit du Seigneur ; elle tient que la vie, le développement, l’histoire de l’Église, sont fondés sur le message et le mystère de Jésus Christ.

Pourquoi le judaïsme voit-il la foi chrétienne comme pure passivité ?

48    Il reste maintenant à traiter la question de fond soulevée par L. Baeck et M. Buber : pourquoi le judaïsme voit-il la foi chrétienne comme pure passivité ? Les déchirements de l’Occident chrétien au moment de la Réforme, et les durcissements qui ont suivi, portent sans doute une part de responsabilité. C’est toute la question du débat sur la « foi » et les « œuvres » ; je ne ferai ici que l’évoquer. La dynamique de rupture du xvie siècle a conduit à penser le catholicisme comme religion des « œuvres », et le protestantisme comme religion de la « foi »…. caricature contre laquelle se sont élevés les enseignements officiels des Églises, mais caricature véhiculée souvent par certaines prédications et tendances, populaires ou même théologiennes. Or les penseurs juifs, surtout libéraux et conservative, qui à partir du xixe siècle se sont intéressés au christianisme, ont été en contact d’abord et surtout avec des Églises protestantes. Aujourd’hui des lectures réconciliées des débats du xvie siècle soulignent les malentendus qui ont présidé à la rupture, et cherchent à articuler foi et œuvres, notamment autour de la question de la justification, d’une manière qui puisse satisfaire catholiques et protestants. Les deux traditions soulignent que l’accueil du don de Dieu est premier : « La foi chrétienne, c’est reconnaître que le don précède l’action – sans pour autant déprécier l’action, ni la déclarer inutile ».

49    Dans cette dynamique de réconciliation, le catholicisme doit être vigilant envers sa tendance pélagienne ou semi-pélagienne ; du côté protestant, l’on se souvient que « Luther insiste énergiquement sur la nécessité de l’amour et des bonnes œuvres comme conséquence indispensable de la foi et du renouvellement effectif de l’homme croyant ».

50    Certes, des différences demeurent ; mais aujourd’hui ni les protestants ni les catholiques ne consentiraient à définir la foi comme une pure passivité. La foi implique un engagement, elle est force de transformation du monde.

51    Il faut maintenant aller plus loin, et voir à quoi correspond cette foi-sentiment selon L. Baeck, ou foi-connaissance selon M. Buber ; sans doute à la distinction, qui a pu devenir à certains moments séparation, entre la fides qua, le mouvement de la foi, et la fides quae, le contenu de la foi. Lorsque chacun de ces deux aspects se développe de façon unilatérale, l’on aboutit à des réductions : réduction piétiste, ou réduction intellectualiste. Ce danger a toujours guetté le christianisme ; le catholicisme est menacé en particulier par la réduction intellectualiste, où croire signifie simplement tenir pour vrai un certain contenu. Le style de certaines déclarations romaines peut renforcer l’impression, pour des observateurs juifs, que le catholicisme est essentiellement une orthodoxie. Dans cette problématique, le Concile Vatican I a été un jalon important. Mais un changement de paradigme s’est produit à Vatican II : la révélation n’est plus pensée selon un modèle d’instruction, comme à Vatican I, où il y a un ensemble de vérités à croire, mais selon un modèle de communication : Dieu se révèle lui-même à l’homme dans une histoire (Dei Verbum). A ce Dieu qui se communique lui-même, l’homme peut s’en remettre tout entier et librement, y compris dans l’adhésion de son intelligence. Fides qua et fides quae sont unies, mais autrement qu’à Vatican I : Vatican ii considère la globalité de la personne, la foi est un acte intégral de l’homme.

52    Pourtant il est vrai – et cela peut aider à comprendre pourquoi M. Buber perçoit la foi chrétienne comme une foi-connaissance – que le catholicisme a toujours mis l’accent sur « l’intelligence de la foi ». Mais c’est une intelligence qui se déploie dans l’horizon de la foi – et non l’inverse. Cependant, cette vérité – que l’effort d’intelligibilité se situe à l’intérieur de l’acte de croire – a sans doute été obscurcie par la scission, lors du deuxième millénaire occidental, entre la théologie dogmatique et l’expérience spirituelle. De fait, cette scission se reflète dans l’image que plusieurs penseurs juifs se font du catholicisme, et du christianisme en général : soit un ensemble d’idées faisant appel seulement à l’intelligence, soit une spiritualité déconnectée de la démarche de la raison humaine. L’Église catholique n’est-elle pas convoquée aujourd’hui à avoir à cœur le lien entre expérience spirituelle, compréhension du mystère chrétien, et style de vie dans le monde moderne ?

En conclusion de ce deuxième temps

53    Ce travail sur les stéréotypes fait apparaître que la globalité et l’unité de la personne humaine sont abordées différemment dans le judaïsme et le christianisme. D’où les risques de mécompréhension mutuelle, mais aussi peut-être les tâches qui incombent aux uns et aux autres.

54    Le judaïsme est caractérisé par une anthropologie religieuse (c’est par les actes que l’homme se réalise) et par une théologie du Roi (l’alliance est un lien d’obéissance au Roi) : anthropologie et théologie qui conduisent le judaïsme à saisir la personne humaine par la pratique. La tâche qui lui incombe alors est de montrer – à ses propres yeux et aux yeux du christianisme – en quoi cette porte d’entrée étroite est en même temps assez large pour rendre compte de toutes les dimensions de la vie.

55    Le christianisme de son côté est caractérisé par la conjonction d’un don et d’une réception, conjonction qui risque de se fragmenter. La tâche qui lui incombe est de faire le lien entre l’expérience spirituelle, l’engagement dans le monde et la compréhension du mystère chrétien, et de montrer – à ses propres yeux et aux yeux du judaïsme – que la foi au Christ peut être un authentique principe unificateur des différentes dimensions de la vie.

Application

56    Il faudrait maintenant appliquer tout cela à des domaines précis, pour voir l’originalité du lien entre foi et pratique, dans le judaïsme et dans le christianisme. Faute de temps, je traiterai d’un seul domaine, où joue de façon particulièrement importante le mode d’inscription dans le réel : le rapport au corps.

57    Sur ce sujet extrêmement complexe, je ne peux qu’indiquer des orientations pour la réflexion. Le judaïsme est connu pour être une religion très « corporelle », au sens où les mitsvot enserrent tous les gestes de la vie quotidienne. La Halakha régule tous les domaines de la vie : « nourriture, boisson, prière, travail, les relations avec la famille et autrui, même la vie amoureuse, la sphère la plus intime de l’expérience humaine ». Par la Halakha, le judaïsme a donc une inscription corporelle très forte dans la vie quotidienne. Quant au christianisme, il a souvent la réputation, particulièrement auprès de juifs, « de ne pas accorder assez d’attention à la mise en situation concrète du commandement évangélique qui est loi d’amour, donc de s’évader hors du corps, et même de le mépriser. Paradoxe pour une religion fondée sur l’Incarnation…

58    Le procès de l’évasion chrétienne hors du corps est instruit par Catherine Chalier dans son livre Sagesse des sens : la tradition chrétienne, dit-elle, a réinterprété la pensée biblique dans le cadre d’une philosophie qui privilégie l’intelligible et se méfie de la sensibilité, nécessairement séductrice et trompeuse. À la différence de la tradition chrétienne qui dissocie les sens extérieurs et les sens intérieurs, la tradition hébraïque n’a pas besoin de renoncer aux premiers pour se tourner vers Dieu. De façon symétrique, le christianisme s’est souvent représenté les juifs comme des êtres purement « charnels ».

59    Il est vrai que toute une littérature chrétienne a réduit les sens à l’ennemi à combattre, et a opposé « sens charnels » à « sens spirituels ». Mais nous pouvons aujourd’hui questionner cette littérature sur sa fidélité au message néo-testamentaire. Jean ne parle-t-il pas de voir de ses yeux et de toucher de ses mains le Verbe de vie ? (I Jean 1, 1-3) Nous pouvons aussi en appeler à Ignace de Loyola, qui bâtit la prière de contemplation d’une scène évangélique sur « voir » et « entendre », et, à la fin d’une journée de retraite, propose une « application des sens » où l’odorat, le goût et le toucher viennent rejoindre la vue et l’ouïe. Chaque fois, il s’agit de « réfléchir en soi-même et en tirer profit » : nous ne pouvons faire l’économie du sensible, mais le sensible lui-même nous conduit plus loin, vers une présence – celle de Dieu en nous – qui est aussi une absence. Point n’est besoin pour cela, comme le dit justement C. Chalier, d’opposer les sens extérieurs aux sens intérieurs.

60    Pour ce qui est de la sexualité, les relations que le christianisme a entretenues avec elle au long de l’histoire ont été difficiles et ambivalentes. À partir de saint Augustin, l’Occident chrétien a eu tendance à lier – sans toutefois les identifier – sexualité et péché, mettant ainsi en valeur le caractère ambigu de la sexualité humaine, appelée à devenir signe de la présence à autrui et du don, mais capable aussi de se refermer sur la violence et la jouissance égoïste. Le judaïsme insiste sans doute moins que le christianisme sur la dimension possiblement tragique et ambivalente de la sexualité : pour le judaïsme, le mariage, avec l’activité sexuelle qu’il implique, est une importante obligation humaine, une des plus hautes expressions de la sainteté ; mais les lois concernant la séparation maritale durant la menstruation, et la sévère condamnation de l’adultère, subordonnent radicalement la pulsion sexuelle à un but plus grand.

61    En notre siècle, le catholicisme remet en honneur la valeur positive de la sexualité dans le mariage : « Les actes qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance », affirme Vatican II. Une anthropologie biblique se développe, où le corps, à la fois désacralisé et valorisé, devient « lieu d’alliance » ; cette anthropologie appartient à la tradition judéo-chrétienne, et peut faire l’objet d’un dialogue entre juifs et chrétiens.

62    Mais il faut aussi considérer le rapport au corps dans un sens plus large : corpus d’écritures, corps social… « Dans la tradition juive, le Texte ne cesse d’écrire, corriger et déplacer un corps vivant, qui est son autre, le corps du peuple ou de ses membres. » Ce lien organique entre le peuple d’Israël et la Torah est assuré par la Torah orale et la pratique des commandements.

63    En affirmant avec saint Paul que « les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus-Christ » (Ephésiens 3,6), le christianisme, lui, a fait son deuil d’une cohésion ethnique. C’est dans un sens métaphorique que l’Église à Vatican II a pu se dire « peuple de Dieu ». Elle est aussi « Temple de l’Esprit » : c’est dans l’unique Esprit que les croyants de toutes origines, par le Christ, ont accès auprès du Père.

64    L’Église est également « Corps du Christ », mais l’on sait la richesse plurielle de significations de cette expression : corps de Jésus de Nazareth, corps eucharistique, corps de l’Église. Le christianisme a également fait le deuil de l’observance des prescriptions détaillées de la Torah ; car, le Christ étant « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14,6), le christianisme a suivi ce Chemin primordial qu’est le Christ, et n’a pas gardé la complexité de la Halakha – dont le sens premier est « chemin ». Le christianisme n’est pas pour autant un antinomisme, et le Chemin du Christ est aussi une Loi. Quant au corpus des Écritures, c’est le Christ Ressuscité qui ouvre l’intelligence pour les comprendre (cf. Luc 24,45) ; c’est par son Esprit que les écrits néo-testamentaires seront reconnus comme « inspirés », pouvant faire partie de la Bible chrétienne. Mais le Christ Ressuscité est aussi l’Absent, celui qui n’est « pas ici », celui dont le tombeau vide n’enferme plus le corps.

65    La Parole, qui s’est faite chair en Jésus-Christ, cherche ainsi à prendre corps dans la variété des peuples de la terre (deuil de la cohésion du corps ethnique) et dans la multiplicité des praxis chrétiennes indéfiniment à inventer (deuil de la détermination juridique de commandements qui régulent jusqu’aux aspects les plus corporels de la vie). Cela fait-il nécessairement s’évader hors du « corps de chair » qui est le nôtre ?

66    C’est tout notre être qui est appelé à rencontrer l’Unique. Mais les modalités corporelles de cette rencontre sont infinies. Dieu donne à Abraham le commandement de la circoncision, dans la chair du prépuce, comme « signe de l’alliance entre moi et vous » (cf. Genèse 17, 10-14) ; le Deutéronome (en 10, 16) demande : « Vous circoncirez votre cœur, vous ne raidirez plus votre nuque ». Reprenant l’enseignement du Deutéronome, Paul met l’accent sur le cœur : « Ce n’est pas ce qui se voit qui fait le Juif, ni la marque visible dans la chair qui fait la circoncision, mais c’est ce qui est caché qui fait le Juif, et la circoncision est celle du cœur, celle qui relève de l’Esprit et non de la lettre » (Romains 2, 28-29). Pourquoi donc une circoncision dans la chair, si les deux Testaments s’accordent pour dire que celle du cœur est l’essentielle ? « Du point de vue hébreu, il faut une marque réelle pour ouvrir l’épreuve symbolique ; et s’il y a risque que cette épreuve se réduise en un simple geste, devenu rituel, mécanique, il faut affronter ce risque », dit le psychanalyste Daniel Sibony dans son livre Les trois monothéismes ; telle pourrait être résumée la réponse juive. Du point de vue chrétien l’inscription de l’Alliance se fait de façon primordiale dans le cœur, pour s’épanouir en fruits de justice et d’amour ; mais il y a aussi un risque, celui « d’offrir un refuge facile aux “belles âmes” incapables d’articuler le droit réel de l’autre et la force de l’Esprit ».

67    En fin de compte, ces deux risques symétriques ne sont-ils pas ceux que l’on court d’une part sur le chemin de l’extérieur à l’intérieur, d’autre part sur le chemin de l’intérieur à l’extérieur ? Le judaïsme met fortement l’accent sur la dimension pédagogique de la pratique des commandements, une pratique corporelle qui conduit peu à peu à une purification intérieure : « Le principe est que la discipline du corps peut conduire à la discipline des émotions, la discipline des émotions peut conduire à la discipline de l’esprit, et la discipline de l’esprit peut conduire à la discipline de l’âme qui conduit à la connaissance de Dieu », dit un rabbin américain. L’idéal est que la kavana, l’intention, accompagne l’acte, mais la régularité de l’acte peut aussi déboucher sur la kavana. Dans cette structure, le risque est que l’extérieur décolle de l’intérieur.

68    Tout en se gardant de durcir indûment le contraste (terrain miné…), il est possible de caractériser la pédagogie chrétienne comme un mouvement allant de l’intérieur vers l’extérieur. Il s’agit de prêter attention à l’orientation du cœur : tout ce que je pense, tout ce que j’aime, tout ce que je fais, sera orienté vers cet absolu qui est Dieu. Moyennant quoi, je peux me tourner vers les créatures en les aimant comme Dieu les aime, en cherchant Dieu en elles. L’orientation du cœur doit s’exprimer dans des choix concrets. Dans cette structure, le risque est de se contenter de bonnes intentions.

69    Ces deux démarches pédagogiques sont souvent complémentaires ; pourtant, chacune des deux traditions en a privilégié une. Quelle est la racine de ce choix préférentiel ? La vie chrétienne commence avec le « germe intérieur » de l’Esprit Saint, la vie juive avec l’entrée dans l’Alliance par l’appartenance à une famille qui va signifier cette Alliance dans la chair du nouveau-né mâle.

Conclusion

70    La complexité de la question pourrait être encore affinée davantage. Elle fait apparaître que judaïsme et christianisme se meuvent dans des univers différents, bien qu’ils aient des bases bibliques communes. L’on ne peut comparer terme à terme aujourd’hui foi et pratique dans les deux traditions religieuses. L’on ne peut non plus cantonner la foi du côté chrétien et la pratique du côté juif. Car chacune des deux traditions articule de façon originale la foi et la pratique.

71    Dans le judaïsme, la pratique de la Torah dans ses multiples déterminations se réfère en dernière instance à l’Alliance entre Dieu et Israël, Alliance qui requiert l’adhésion et la confiance du peuple d’Israël.

72    Dans le christianisme, l’Esprit Saint est don de Dieu présent au cœur de l’Église ; c’est avec Lui que commence et se poursuit toute vie chrétienne ; c’est en Lui que se fait l’unité de la foi et de la vie quotidienne, que se vit le discernement pour rechercher la volonté de Dieu dans toutes les situations de la vie, et que s’affermit une pratique d’amour, de foi et d’espérance. L’Esprit Saint est le secret de l’articulation entre la foi et la pratique.

73    La vie dans l’Esprit n’est pas une vie sans règles. Sans Halakha qui leur dise que faire dans telle circonstance particulière, les chrétiens disposent pourtant de critères de discernement pour se situer par rapport à leur culture, par rapport aux exigences parfois conflictuelles qui se présentent à eux. Cela requiert d’eux une véritable obéissance à l’Esprit, dont les fruits se reconnaissent surtout dans la durée. L’obéissance est une attitude trop profondément biblique pour ne pas être commune, quoique sous des modalités différentes, à la fois aux juifs et aux chrétiens.


Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2013 

https://doi.org/10.3917/parde.030.0111 

https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-1-page-111.htm 

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Chez Abbé Gilles par divers moyens je cherche à défendre la vie, à encourager la foi chrétienne, à faire valoir la tradition catholique, à édifier le Mariage en son lien au Créateur, à encourager les familles et les individus, et à appuyer les disciples missionnaires de Jésus.  G.S.

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© 2004-2021 All rights reserved Fr. Gilles Surprenant, Associate Priest of Madonna House Apostolate & Poustinik, Montreal  QC
© 2004-2021 Tous droits réservés Abbé Gilles Surprenant, Prêtre Associé de Madonna House Apostolate & Poustinik, Montréal QC
 

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En tant que chrétien, pourquoi s’intéresser au judaïsme ?

Chez Abbé Gilles par divers moyens je cherche à défendre la vie, à encourager la foi chrétienne, à faire valoir la tradition catholique, à édifier le Mariage en son lien au Créateur, à encourager les familles et les individus, et à appuyer les disciples missionnaires de Jésus.  G.S.

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« QUI RENCONTRE JÉSUS CHRIST RENCONTRE LE JUDAÏSME »

Jean Paul II, repris par Benoît XVI*

https://rencontresjuifschretiens.wordpress.com/category/source/

« L’enseignement de Notre Seigneur, à titre de rabbi, était un commentaire continu de la liturgie synagogale, si bien que la mémoire des apôtres était nécessairement organisée en référence constante aux lectures des shabbats » Citation d’après le Père Frédéric Guigain, « Exégèse d’oralité I », page 182

On peut tenter d’expliquer en quelques paragraphes l’influence du judaïsme sur le christianisme et la relation entre Israël et l’Eglise : En tant que chrétien, pourquoi s’intéresser au judaïsme ?

Le christianisme

  • Le judaïsme nous permet de mieux lire les Evangiles : ainsi nous comprenons mieux les gestes et les paroles de Jésus ; nous pouvons voir ce qu’il a repris du judaïsme et ce qu’il a ajouté ou modifié. 

  • Le judaïsme nous aide à comprendre les fêtes chrétiennes : Pessah nous aide à comprendre Pâques, Shavouot Pentecôte, Kippour le Vendredi Saint, Soukot les fêtes des Rameaux et de la Transfiguration…

  • Le judaïsme nous aide à aller plus loin dans la compréhension des sacrements, en particulier celui de la messe. La circoncision nous aide à comprendre le baptême ; Roch HaChana et Kippour nous aident à comprendre le sacrement de Réconciliation ; la liturgie du shabbat et celle de Pessah nous aident à comprendre l’Eucharistie… La messe reprend en un seul moment (la célébration de la Parole et du repas) deux rassemblements liturgiques juifs : d’une part la liturgie de la Parole dans les offices à la synagogue, et d’autre part la liturgie familiale du repas sabbatique ou du repas pascal.(1)

  • Nous sommes de la descendance d’Abraham, « notre père à tous » (Romains 4,16). « Il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais » (Le Magnificat)(2).

La prière

  • Grâce au judaïsme nous pouvons mieux comprendre de quelle façon Jésus a vécu la prière à la maison, premier lieu liturgique, premier lieu de transmission de la religion.

  • Le judaïsme peut nous aider à mieux vivre la prière en communauté. En effet on peut aller à la messe sans rencontrer personne alors qu’on peut difficilement participer à un office à la synagogue de manière anonyme. Le temps passé à la synagogue lors du shabbat pour nous aider à reconsidérer notre façon de vivre le dimanche, le plus souvent réduit à une heure furtive de célébration communautaire.

Le couple et la famille

  • Le judaïsme nous montre quel est le regard de Jésus sur la famille. Le judaïsme prend en compte les enfants, le père, la mère ; et les membres de la famille défunts.

  • Le judaïsme nous montre quel est le regard de Jésus sur le couple, lieu de présence de Dieu (la Shékhina).

La connaissance religieuse

  • Le judaïsme nous permet de savoir un peu comment Jésus a été éduqué car il est visiblement imprégné de la pédagogie juive de la transmission (les fêtes par exemple ont un but pédagogique en direction à la fois des enfants et des adultes).

  • Le judaïsme nous enseigne beaucoup sur la Bible. En effet, le premier pilier de la synagogue est l’étude (le second la prière et le troisième la charité) ; aussi, chaque juif ayant eu une éducation religieuse est capable de commenter la Torah.

  • Le judaïsme nous aide à mieux connaître de quelle manière Jésus a étudié et enseigné. En effet dans le judaïsme on ne peut pas et on ne doit pas étudier seul. Il faut être au minimum deux pour pouvoir échanger. Et puis, lors d’un enseignement du rabbin il est possible et recommandé de l’interrompre pour poser des questions, ou même contester ce qu’il enseigne.

Cohérence de vie de chaque instant

  • Le judaïsme nous montre comment Jésus vivait la sanctification de la vie dans sa globalité et non pas seulement lors de moments religieux ou dans des lieux religieux. En effet le judaïsme englobe tous les détails du quotidien de la vie, notamment par les mitzvot (que l’on peut traduire par « commandements »).

  • Le judaïsme peut nous apprendre à introduire dans notre maison (« l’église domestique ») le sens du sacré. En effet, depuis la destruction du Temple, c’est la maison familiale qui est devenue le « Temple » ; c’est autour de la table (du shabbat, de Pessah) que se déroulent les cérémonies qui avaient lieu au Temple. Dans le judaïsme la table a remplacé l’autel et le père de famille fait fonction de Grand Prêtre.

  • Le judaïsme nous apporte des éclairages utiles et concrets sur notre comportement par rapport à l’argent, à la sexualité, aux relations sociales.

L’organisation de la communauté religieuse

  • Le judaïsme nous donne de précieuses indications sur l’atmosphère religieuse dans laquelle Jésus a vécu (même si le judaïsme d’aujourd’hui est un peu différent de celui de l’époque du Christ du fait notamment de l’absence de Temple et de prêtres). Nous pouvons ainsi mieux comprendre l’organisation religieuse d’une communauté juive et la place des laïcs au temps du Christ. En effet, le rabbin n’est pas prêtre, il est une autorité religieuse du fait de son savoir et de son ordination et celle-ci n’est pas un sacrement. Aussi, en cas d’absence de rabbin, un laïc peut le remplacer aussi bien pour enseigner que pour diriger l’office, célébrer une bar mitsva (entrée dans la majorité religieuse à treize ans) ou un mariage. De plus l’office peut être mené à tour de rôle par n’importe quel homme dès sa bar mitsva.

  • Le judaïsme nous fait mieux connaître la place de Marie, la mère de Jésus dans la liturgie domestique. La place de la femme en tant que reine de la maison lors du shabbat lui donne un rôle essentiel que personne ne peut tenir à sa place. C’est par exemple elle qui allume les bougies qui indiquent l’entrée dans le temps du shabbat à la maison. C’est à elle que son mari adresse à voix haute la lecture de l’éloge de « la femme vaillante » (Proverbes 31,10-31).

Le peuple de Dieu

  • Le judaïsme de l’époque du Christ a donné naissance au christianisme ; il est sa matrice. Comment peut-on ne pas s’intéresser à sa propre mère ? « relation indissoluble qui relie le christianisme à la religion juive comme à sa matrice éternellement vivante et valable » (Benoît XVI)(3)

  • Les juifs sont « nos frères aînés » (Jean Paul II)(4) Comment peut-on ne pas s’intéresser à son grand frère ? En nous intéressant au judaïsme, nous n’allons pas devenir juifs (sauf si nions ou relativisons la divinité du Christ) mais cela va au contraire nous aider à être plus conscients de notre identité chrétienne.

  • L’arbre retrouve sa terre. Le fils retourne auprès de son frère aîné, chez son père. Le père invite le grand frère à se réjouir avec son petit frère : « Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi ; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé. » (Luc 15.31-32)

  • Le judaïsme est la religion du peuple de Dieu et en tant que chrétiens nous nous sommes incorporés au peuple juif, Israël(5). « L’on ne peut recevoir l’Esprit de Jésus qu’à la condition stricte de partager l’espérance d’Israël et d’y accéder (…) Le baptême (…) est une incorporation au Christ. Mais il est aussi, en même temps et indissolublement, une incorporation à Israël »(6). Il n’y a dans cette relation aucune supériorité ou infériorité, aucun prosélytisme, mais plutôt complémentarité et convergence. « « Vous n’étiez pas du peuple ; maintenant vous en êtes, vous êtes le peuple que Dieu s’est acquis. » (Voir Isaïe 54,1-3 ; 55,5) Il n’y a là aucune substitution, mais une agrégation au peuple (…). » (Cardinal Jean-Marie Lustiger)(7).

L’amour

  • Le judaïsme nous enseigne de manière précise comment aimer, et nous, chrétiens, tellement persuadés de tout savoir sur le sujet de l’amour, n’accordons plus aux juifs que l’idée de justice sans leur imaginer la moindre notion de miséricorde et de compassion. En effet, pour les juifs, il ne suffit pas de devoir aimer mais il importe surtout de savoir de quelle manière pratiquer concrètement ce commandement. Pour les juifs, la réponse est dans les mitsvot qui indiquent précisément comment se comporter : l’amour de Dieu et l’amour du prochain demandent de la « justesse » dans l’intention et dans l’action.

  • Le judaïsme nous permet de mieux définir la justice qui ne peut être séparée de l’amour. En hébreu le mot « justice » se traduit –entre autres- par « tsedek », qui a donné tsedaka : la charité comme acte de justice. En effet, dans le judaïsme, donner et aimer constituent des actes de justice. Pour les juifs, celui qui est apprécié pour sa bonté est appelé « Juste ».

Le Christ

  • Le judaïsme -même si les juifs en général n’en sont pas conscients- illumine le Christ, le Messie. L’Eglise est fondée sur la déclaration de Pierre à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Or Jésus n’est pas un messie venu de nulle part, il est le Messie d’Israël. Nous intéresser au judaïsme nous permet de mieux connaître la personne du Christ à travers son peuple, Israël, le peuple de Dieu. (à l’époque de Jésus la notion de messie signifie un descendant de la dynastie de David, oint comme roi, et qui devra restaurer la souveraineté d’Israël, donc libérer son peuple de l’occupant romain)

  • Le Christ-Messie ne s’adresse pas directement à toute l’humanité mais d’abord à son peuple Israël et par son peuple à l’humanité. L’Eglise est d’abord constituée de juifs (les apôtres) qui s’adressent à l’humanité. On pourrait dire que l’humanité entre dans ce groupe de juifs qui ont reconnu le Messie et qu’ainsi, d’une certaine manière, l’humanité entre dans le peuple de Dieu, Israël.

  • Le judaïsme a beaucoup à nous apprendre sur l’humanité du Christ, sur son identité juive : sa religion, sa culture, son Histoire, sa terre…

  • Le judaïsme a beaucoup à nous apprendre sur la divinité du Christ. En effet Jésus est « vrai homme et vrai Dieu »(8) et « Il est Dieu né de Dieu » (Credo). Aussi nous ne pouvons pas parler de sa divinité sans nous intéresser au sens du mot « divinité » dans le judaïsme.

La Trinité et le Nom de Dieu

  • Le judaïsme nous éclaire sur le sens du mot Dieu et par conséquent sur la Trinité (sachant que la notion de Trinité telle qu’elle est professée par la foi chrétienne est étrangère au judaïsme). Nous ne pouvons prétendre connaître Dieu sans avoir quelques connaissances des traductions de ce mot dans la Bible hébraïque. Le judaïsme nous éclaire sur la Trinité en nous éclairant notamment sur la distinction entre « Elohim » (le Dieu Créateur) et « Ha Chem » (le Tétragramme ou « Le Nom » révélé au Sinaï et imprononçable en-dehors du Temple). Et le Saint-Esprit peut sans doute être rapproché du mot « Shekhina » (la présence divine).

  • Le judaïsme nous rappelle l’inaccessibilité de Dieu. Il serait trop simpliste de se contenter de traduire un mot par un autre, un mot chrétien par un mot juif. La Vérité est plus subtile et ne se laisse pas enfermer dans des mots ou des pensées. Le judaïsme est une religion vécue où l’on n’étudie pas la théologie car on ne parle pas de Dieu mais on s’adresse à Lui par la prière et l’application de sa Volonté, c’est-à-dire de ses commandements.

  • Le judaïsme nous apprend à sanctifier le Nom de Dieu. Les Protestants disent « le Seigneur », « l’Eternel », « Jéhovah » ou « Iéovah ». Les catholiques disaient « Yahvé » et maintenant -comme la plupart des Protestants- disent « le Seigneur ». Ces traductions du Tétragramme יְהוָה sont aussi éloignées les unes que les autres du mot hébreu יְהוָה. Les juifs, respectueux du mystère divin, n’essaient pas de traduire le Nom sacré. Pour parler de Dieu ils disent « Ha Chem » (Le Nom), et pour s’adresser à Lui dans les prières ils disent « Adonaï », Seigneur.

Jésus et Dieu

  • Le judaïsme est la religion de Jésus ; il est juif.

  • Jésus n’est pas le fils d’un dieu inconnu mais le Fils du Dieu d’Israël. Comment connaître « le Dieu d’Israël devenu le Dieu des nations » (Cardinal Ratzinger)(9) sans connaître « le peuple qui porte son Nom » (Ecclésiastique ou Siracide 36, 17) ?

Notes :

* Jean Paul II à Mayence en 1980, citant les évêques allemands ; Benoît XVI à Cologne en 2005. Dans la revue « Sens » année 2006 n° 7/8, page 456.

(1) Voir le livre du Cardinal Lustiger, La Messe, Bayard Editions, 1988, page 33.

(2) Luc 1, 46-55

(3) Rome, catéchèse du mercredi 28 juin 2006.

(4) Le 13 avril 1986 lors de sa visite à la synagogue de Rome.

(5) Le peuple de Jésus, c’est Israël. Ce mot a dans ce texte bien sûr le sens de peuple hébreu ou peuple juif. Le terme Israël n’a donc pas ici le sens restreint et particulier d’Etat d’Israël. Israël en tant que peuple élu a un sens sacré alors que l’Etat d’Israël est un Etat comme tous les Etats.

(6) Cardinal Jean-Marie Lustiger, La Promesse, Editions Parole et Silence, 1999, page 99.

(7) La Promesse, page 132.

« C’est par et dans le Christ que les païens entrent à leur tour dans l’élection d’Israël, par le baptême. Le Cardinal Lustiger fait remarquer à ce propos qu’au temps du Christ, le baptême pouvait être pratiqué en milieu juif sur les prosélytes ; il s’agissait alors de leur proposer un rite de substitution à la circoncision, à laquelle beaucoup d’entre eux répugnaient (p. 87). L’incorporation des païens à Israël était donc déjà pratiquée, et sans doute bien plus aisément que dans le judaïsme actuel, avant la prédication de Jésus. Mais le Christ accomplit pleinement cette extension de l’élection d’Israël à toute l’humanité parce qu’il s’est lui-même soumis au rite du baptême de Jean : il a voulu montrer, par cette humble démarche, que l’élection n’est pas un dû dont on pourrait se glorifier, mais un don qui reste toujours à recevoir, de la part d’Israël et de la part de l’Église, comme une pure grâce. En permettant à tous d’entrer dans l’histoire du salut, Jésus invite Israël lui-même, le peuple élu par excellence, à pour ainsi dire « remettre » sa propre élection dans les mains de Dieu, reconnaissant ainsi qu’elle n’est pas sa propriété, mais qu’elle est appelée à être accordée à tous les hommes. « Pour le païen pécheur, c’est une grâce que d’avoir accès dans le Christ à la richesse d’Israël ; et pour le juif qui doit lui aussi se reconnaître pécheur par rapport à la Loi, la venue du païen lui démontre la gratuité et la fécondité du don qu’il a reçu » (p. 139). Le Christ vient donc accomplir l’élection en la renouvelant et en l’élargissant au monde entier. Dans cette perspective, et les Juifs et les païens doivent la recevoir comme un don gracieux, sans aucun mérite de leur part. »

(revue-resurrection.org)

(8) Catéchisme de l’Eglise Catholique § 464

(9) L’unique alliance de Dieu et le pluralisme des religions, Editions Parole et silence, 1999, pages 11 et 87.

Nous remercions le Cardinal Philippe Barbarin, le Père Michel Remaud, le Père François Lestang, le Père Rafic Nahra et le Père David Neuhaus qui ont bien voulu relire ce texte.

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Prière de Jean Paul II à l’intention du peuple juif

dormition1« Dieu d’Abraham, Dieu des prophètes, Dieu de Jésus Christ, en toi, tout est contenu; vers toi, tout se dirige ; tu es le terme de tout.

Exauce notre prière à l’intention du peuple juif qu’en raison de ses pères, tu continues de chérir.

Suscite en lui le désir toujours plus vif de pénétrer profondément ta vérité et ton amour.

Assiste-le pour que, dans ses efforts pour la paix et la justice, il soit soutenu dans sa grande mission de révélation au monde de ta bénédiction.

Qu’il rencontre respect et amour chez ceux qui ne comprennent pas encore ses souffrances, comme chez ceux qui compatissent aux blessures profondes qui lui ont été infligées, avec le sentiment du respect mutuel des uns envers les autres.
Souviens-toi des générations nouvelles, des jeunes et des enfants : qu’ils persistent dans la fidélité envers toi, dans ce qui constitue l’exceptionnel mystère de leur vocation.

Inspire-les pour que l’humanité comprenne par leurs témoignages que tous les peuples ont une seule origine et une seule fin : Dieu, dont le dessein de salut s’étend à tous les hommes.

Amen. »
Emplacement du ghetto de Varsovie, 11 juin 1999

Voir tous les textes au lien suivant : 

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Chez Abbé Gilles par divers moyens je cherche à défendre la vie, à encourager la foi chrétienne, à faire valoir la tradition catholique, à édifier le Mariage en son lien au Créateur, à encourager les familles et les individus, et à appuyer les disciples missionnaires de Jésus.  G.S.

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